*On me signale à l’oreillette qu’il serait bon de ne pas faire que critiquer et s’énerver…c’est parfaitement justifié. Désormais, à la fin de chaque article agressif-comme celui qui va suivre-, je m’efforcerai de le compenser par deux phrases positives et constructives.*
Lequel de ces deux patibulaires individus est le plus dangereux? Un blog de grand malade, qui raconte que le sida est une invention des laboratoires pharmaceutiques, ou un blog tout rose de conseils natures et recettes zen qui, de temps en temps, coule une bielle?
Parfois, la tête trop pleine de vapeur ou enflée par un nombre de visiteurs par jour trop flatteur, un de ces ayatollah de l’alternatif se lance dans le conseil médical au cours d’un article « santé ».
Pigeon vous parle aujourd’hui des signes qui ne trompent pas et qui vous aideront à savoir quand prendre votre courage à deux mains et fuir très loin. Nous prendrons comme malheureux exemple cet article, à lire intégralement avant de revenir…
Voici les quatre cavaliers de l’apocalypse, les quatre voyants rouges qui annoncent immanquablement une zone de forte turbulence argumentative, les trois mousquetaires de ceux qui n’aiment pas la logique.
I- Saint « On M’a Dit Que », priez pour nous.
Comme on peut le voir dès le début du billet de cette jeune énergéticienne, le poids d’une anecdote rapportée est énorme. « Il paraît qu’un monsieur est devenu aveugle à cause du traitement anti-palu », « On m’a dit que tel ou tel traitement marchait très bien », « mes amis, qui vivent là-bas, m’on dit qu’ils n’avaient jamais vu de cas de paludisme ».
Une personne habituée à faire fonctionner convenablement son esprit critique aura pour premier réflexe de répondre « Et alors? ». Pas l’auteure de ce blog, non. Elle qui pourtant pense faire preuve d’esprit critique en tirant des conclusions erronées à a lecture d’une carte, prend au contraire ces propos rapportés pour argent comptant.
Pourquoi?
« On m’a Dit Que » est l’expression directe du biais de confirmation. En effet, il est obligatoire qu’elle ait entendu d’autres sons de cloches allant complètement à l’encontre de ces anecdotes; pourtant, elle n’en est fait aucun cas. « On M’a Dit Que », c’est ce dont on va se souvenir parce que cela va dans le sens de ce qu’on a envie de croire. On collecte ces anecdotes formatées, la plupart relevant du domaine de la légende urbaine, et on les garde bien au chaud, empilées, toutes cuites et prêtes à être resservies.
« On m’a Dit Que », c’est se sentir mieux informé que nos pauvres congénères, ces moutons qui suivent sans réfléchir les recommandations des institutions (pouah!), c’est bénéficier de connaissances de premier choix (puisque mes amis « s’y connaissent »!) , secrètes, celles qu’on chuchote et qui doivent rester dans le petit cercle des initiés.
« On m’a Dit Que », c’est aussi l’expression du renversement de la charge de preuve. Qui n’a pas connu une discussion houleuse entre amis, où l’ on vous lance à la face « Comment expliques-tu que [insérer ici une anecdote rapportée, insondable et invérifiable] ? ».
Plutôt que d’essayer d’expliquer pourquoi les exemples fournis par l’auteure sont d’une stupidité abyssale, car on me répliquera que je ne suis pas médecin (good morning double standard), abordons pour une fois la preuve par l’exemple.
Ce qui va suivre est la pure vérité:
En trente-deux ans, j’ai vécu à Rueil-Malmaison, Rouen, Paris, Munich, Leipzig, Bamberg (petite ville de Bavière) et de nouveau à Paris.
En trente-deux ans et dans aucune de ces villes je n’ai vu de chien mort.
Aucun. J’en ai bien entendu parler, évidemment, on m’a dit que les chiens mouraient, mais je ne l’ai jamais vu. Alors, moi, je me dis, avec mon esprit critique, est ce que par hasard dans toutes ces villes, le chiens seraient immortels?
L’exemple du chien mort est volontairement ridicule et impossible pourtant je suis sûr que vous comprenez le principe. Prenons toujours l’exemple de ma vie, avec un autre sujet.
En trente-deux ans, et dans aucune de ces villes, je n’ai vu de cas d’infection au VIH. Ah!
On commence à aborder les cas plus intéressants: être séro-positif n’est pas écrit sur le front des gens, fort heureusement, surtout grâce aux thérapies désormais existantes. Mais la même chose est vraie pour le paludisme: dans les régions à forte incidence, les populations développent une tolérance au parasite, ils peuvent le contracter sans développer d’infection(1) et ce n’est pas écrit sur leur front.
Allons encore plus loin:
En trente-deux ans, et dans aucune de ces villes, je n’ai vu aucun cas de: mort par asphyxie, mort par balles, suicide, rupture du péritoine, glissade mortelle, noyade, complication mortelle de la coqueluche, complication mortelle de conduite avec quatre grammes dans le sang.
Oh, bien sûr, j’en ai entendu parler, mais je n’en ai jamais vu, donc quand même, je me permets de me poser des questions…
Vous voyez où je veux en venir.
II « J’ai le droit de réfléchir par moi-même et de me poser des questions »
Non seulement on a le droit, mais il le faut.
Seulement…lorsqu’on entend cette phrase, en particulier formulée ainsi, commencée par « j’ai le droit de », cela signifie neuf fois sur dix que l’on à affaire à un beau syndrôme de caliméro, à quelqu’un qui est dans la croyance, donc par définition se victimise et vit très mal la moindre critique ou contradiction.
Réfléchir par soi-même, si on le fait à l’endroit, signifie d’abord s’informer. Or, lorsqu’on souffre du syndrôme du « j’ai le droit de » (à prononcer en haussant le ton et en croisant les bras), s’informer veut trop souvent dire chercher confirmation. Alors on va, au sujet des vaccins par exemple, demander l’avis d’experts sur internet au sein d’un forum « esprit nature, métaphysique et mamans rose bonbon » (fictif mais on reconnaît), au sujet des médicaments allopathiques dans « la bible de l’homéopathie », au sujet du paludisme chez des amis n’ayant aucune compétence médicale…
S’informer, c’est lire beaucoup, et calmement, des sources vérifiables et pertinentes, demander, dans un cadre professionnel, l’avis de personnes dont les compétences sont elles aussi vérifiables. S’informer, c’est avoir le courage de confronter ses idées et préjugés avant qu’ils ne deviennent des croyances. Lorsqu’on a atteint l’état de croyance, c’est trop tard.
Abordons maintenant un sujet délicat qui va entèrement à l’encontre de la génération « TPMG » (Tout Pour Ma Gueule) et de l’égalitarisme aveugle: si tout le monde est capable de se poser des questions, tout le monde n’est PAS capable d’en tirer des conclusions pertinentes, en particulier sur des sujets aussi complexes que l’épidémiologie, la virologie et la médecine en général. La vanité ne peut pas, ne veut pas supporter cette état de fait. « J’ai le droit de » a remplacé intégralement « Suis-je capable de ? ».
Pour bien faire la différence:
Une personne normalement intelligente même si elle n’est pas docteur en médecine, peut comprendre un diagnostic médical s’il est bien expliqué.
Mais une personne qui n’est pas médecin, même si elle est supérieurement intelligente, n’est pas capable d’établir elle-même un diagnostic. La différence est de taille, et n’a rien à voir avec l’intelligence: elle nécessite un apprentissage énorme de connaissances, et surtout, de savoir faire la différence entre corrélation et causalité (2)
Voyons maintenant à quel point la blogueuse ne sait PAS faire cette diférence.
Avec son très impressionnant esprit critique, elle remarque que l’incidence du paludisme a lieu essentiellement en Afrique, en particulier dans des pays qui souffrent de malnutrition. Elle saute immédiatement à la conclusion, « avec son esprit critique », que les deux sont « liés ». Evidemment, c’est exprimé sous forme de question, « est-ce que par hasard ce ne serait pas [insérer ici une ânerie]? ».
Il n’empêche que je sais, moi, faire la différence entre explicite et implicite et on ne me la fait pas.
Il y a corrélation, le paludisme sévit dans beaucoup de pays dont la population souffre de malnutrition. Il n’y a pas causalité directe: des touristes ou expatriés malchanceux ou imprudents meurent du paludisme alors qu’ils sont très bien nourris. Et certaines populations locales, mêmes souffrant de malnutrition, peuvent au contraire développer une accoutumance au parasite (3).
Dans la même veine, et avec un esprit critique de même qualité, on peut remarquer que le paludisme est présent essentiellement dans des pays dont les habitants ont la peau noire. Alors « est-ce que par hasard? ». Non.
Les pays concernés sont essentiellement, pour des raisons purement climatiques et géographiques, des pays d’Afrique (mais pas seulement), car le moustique bien particulier qui transporte le parasite vit dans ces régions (4) or, il se trouve que ce continent, pour des raisons multiples et complexes (politiques, historiques, climatiques), et qui n’ont rien à voir avec la qualité de ses moustiques, est un continent dont la grande majorité des pays sont extrêmement pauvres. Les populations de ces pays, pour des raisons évidentes, souffrent de malnutrition.
Pour conclure ce chapitre, voici un exemple historique de confusion entre corrélation et causalité.
Certaines peuplades primitives, par réflexe autant que par croyance, hurlaient ou effectuaient des cérémonies religieuses lors des éclipses pour intimider et éloigner la divinité ou la créature qui masquait le soleil. Cela marchait à tous les coups, immanquablement le soleil réapparaissait. Corrélation. Y avait-il causalité ?
Dans ce cas, faire la différence entre corrélation et causalité est possible pour n’importe qui, pour peu que l’on ait une connaissance basique du fonctionnement des planètes.
Dans le cas de la médecine, ce n’est PAS à la portée de tout le monde. Et cela n’a rien à voir avec l’intelligence: les connaissance à posséder sont trop nombreuses, trop pointues et trop spécifiques.
Inacceptable évidemment pour beaucoup de riches bourgeois experts en tout…mais c’est pourtant vrai.
III La terminologie et la pression de groupe
Oh, les beaux guillemets, subtilement placés, qui disent beaucoup sans en avoir l’air…Les vaccins « recommandés », les conseils « avisés » des médecins, les médicaments « efficaces », les « recommandations » de l’OMS, j’en passe et des pas mûres…Les blogs experts en santé alternative débordent littéralement de ces petites perles d’aigreur et de mépris envers la méchante médecine scientifique. D’ailleurs, j’ai choisi de parler de cet article en particulier, alors qu’il est loin d’être le pire ou le plus déjanté, parcequ’il contient beaucoup de ces drapeaux rouges, dont un qui m’a particulièrement mis en colère: « Les (pigeons) voyageurs qui se rendent dans les centres de vaccination ».
Là, on parle de moi…
La prétention est telle que, sans plus d’explications, on distingue ceux qui se font avoir, et qui suivent pigeonnement les recommandations de l’OMS ou de leur médecin, qu’est-ce qu’ils sont bêtes, de ceux qui ne se font pas avoir-comme elle évidemment-et qui « réfléchissent par eux mêmes »…et qui prennent leurs conseils santé sur internet.
De même, les médecins-apparemment tous, sans distinction- « s’y connaissent en « médecine tropicale » (comprenne qui pourra) autant que moi en plomberie »…
Ces petites piques sont, elles, l’expression directe de la pression de groupe. C’est l’affirmation péremptoire lancée avec menace sous-jacente, celle du « si tu ‘est pas d’accord c’est que tu es un pigeon », celle du « tout le monde sait ça » et du « si tu n’as pas compris, je ne peux rien pour toi ».
Nous l’avons tous vécu, à l’école, au collège et lycée, et continuons de le vivre en tant qu’adultes: les effets de la pression de groupe sont subtils mais dévastateurs.
IV Les sources et références, c’est pour les nazes
Comment peut-on faire confiance à des affirmations et conseils médicaux, au sujet d’une maladie mortelle, lorsqu’il n’y a pour toute source ou référence que « newsletter alternative santé, la bible des huiles essentielles, et quelques amis malgaches »?
C’est une règle d’or: toute publication à prétention scientifique et surtout médicale, et qui ne source aucune de ses affirmations, n’est pas digne de confiance et doit être immédiatement reléguée aux oubliettes. Surtout, SURTOUT lorsqu’ils s’agit de conseils médicaux!
Voici l’apothéose du dangereux ridicule: cet article affirme que l’on n’a pas trouvé mieux que le Tropic’Aroma en ce qui concerne la fièvre jaune (on en meurt, et c’est particulièrement moche), la dengue, le chikungunya et…la polio? La fièvre jaune et la poliomyélite sont des maladies extrêmement graves, des maladies que l’on pourrait éradiquer grâce aux vaccins (5) mais, bien sûr, tout en bas de pages, il est écrit en gras « aucun vaccin »…Rien, absolument rien de vient appuyer ces affirmations incroyables concernant le Tropic’Aroma.
On est dans le domaine de l’opinion, évidemment, on a parfaitement le droit d’exprimer sa méfiance envers les vaccins, et de publier ses opinions. Et c’est mon opinion que prodiguer ce genre de conseils en ce qui concerne une telle série de maladies mortelles relève de l’irresponsabilité la plus grave.
Pour ne pas tomber dans le « faites ce que je dis pas ce que je fais », j’explique mon animosité particulière.
Ce genre de blogs et d’articles encourage l’alternative. L’alternatif, dans la santé, cela veut dire clairement « à la place de ». On y est encouragés à « faire ses propres expériences » et à « au moins essayer ».
Or, dans le cas du paludisme, si on attrape le mauvais type de parasite, on a vingt-quatre heures après l’apparition des symptômes pour se précipiter à l’hôpital. L’évolution peut être extrêmement rapide (l’auteure de ce blog le sait, puisqu’elle en parle), et l’on n’a PAS LE TEMPS d’avaler de l’argile ou de se tartiner de lavande « pour essayer ». Des touristes meurent régulièrement du paludisme, parcequ’ils pensent avoir attrapé un rhume, dû au voyage ou au décalage horaires; ils arrivent à l’hôpital trop tard et meurent au service réanimation.
D’autre part, comme je l’ai déjà dit, le diagnostic n’est pas à la portée d’un profane, certainement pas en ce qui concerne la contraction d’un parasite: on ne se trimballe pas avec des médicaments et des antibiotiques en poche dont les effets secondaires peuvent être lourds (c’est écrit en gros sur les posologies, le petit papier dans la boîte) pour les prendre sans indication lorsqu’on « pense » avoir contracté la maladie, comme le suggère encore notre championne.
Le dépistage du parasite se fait en laboratoire, pas au doigt mouillé.
Conclusion
Pourquoi prendre comme exemple cette auteure, et pas d’autres qui, beaucoup plus furieux, encouragent à ne pas se soigner du cancer ou du sida par exemple?
Comme je l’ai déjà dit, à cause de la phrase sur les « pigeons » qui se rendent dans les centres de vaccination (on sait déjà tout le bien que je pense des anti-vaccin radicaux).
Ensuite et surtout parce que ce genre de blogs mêle, peut-être sans le vouloir, vérités et graves erreurs.
D’autre part, il est très représentatif, et est formaté sur le modèle de milliers d’autres pages qui pullulent et se reproduisent comme une armée de lapins roses:
Rendons à César ce qui est à César:
Les huiles essentielles peuvent, dans certains cas, être bénéfiques. Tout d’abord dans leur principe elles aident à lutter contre la surmédication ou l’automédication, un fléau bien réel et catastrophique our la santé publique: le stress, les petits maux, soulagement des symptômes du rhume, etc…On n’a pas attendu la grande mode des huiles essentielles pour connaître les effets bénéfiques des plantes.
Certaines huiles sont également d’efficaces répulsifs face aux insectes: là encore c’est un savoir qui précède de très longue date la médecine allopathique.
Il est également vrai que la résistance des moustiques aux insecticides est un problème, qui freine la lutte anti-vectorielle de l’OMS (c’est à dire la lutte contre le porteur de la maladie). L’utilisation massive d’insecticides commerciaux peu efficaces est nocive pour tout le monde, c’est vrai aussi.
Il est assez amusant que les quelques recommandations sensées présentes dans l’articles font parties des recommandations de la très méchante OMS dans la lutte contre le paludisme: éviter d’abord la piqûre en dormant sous des moustiquaires efficaces et adaptées, porter des vêtements longs…
Mais en mêlant vérités, demies-vérités et aberrations, ce genre de discours est extrêmement dangereux, car il se déguise en discours rationnel et mesuré tout en racontant n’importe quoi, entretenant la confusion, la méfiance, et encourage à se tourner vers des thérapies qu’aucune méthode ou étude ne vient prouver ou appuyer. Et, parce qu’il est mélangé avec d’autres articles bénins ou même sensés (recettes de cuisine, conseils cosmétiques nature…), on a baissé la garde.
Ces blogs, pages, articles, sont extrêmement nombreux et le plus difficile lors de la rédaction de ce billet a été de ne pas pouvoir citer et parler de tous les arguments fallacieux, profondes incohérences, et sous-entendus que l’on peut trouver. Il a fallu choisir et se concentrer sur ce que je pense être l’essentiel, et si vous écrivez aussi de votre côté, vous savez à quel point il est difficile de choisir…
Les deux phrases positives et constructives de pigeon.
-Les médecins c’est comme les châtaignes. Des fois on tombe sur une pourrie, mais il faut pas en vouloir à toutes les châtaignes.
-Mangeons beaucoup moins mais beaucoup mieux, sauvons la planète.
Pour aller plus loin:
Un énorme pavé très instructif: http://www.infectiologie.com/site/medias/enseignement/ePillyTROP/ePillyTROP.pdf
Notes et références: